Toujours un grand plaisir de partager avec vous ces entrevues et perspectives des gens que je respecte dans l’industrie – aujourd’hui, c’est au tour de Joëlle (Robillard), de Musique Nomade, de s’exprimer sur son parcours, son implication au sein de Musique Nomade ainsi son point de vue à l’égard du marché actuel. J’en profite d’ailleurs pour la féliciter, pour avoir reçu ces derniers jours le prix de la Jeune Cadre du Québec, remis par la Jeune Chambre de commerce de Montréal!
En quelques mots, qui es-tu et que fais-tu ?
Je suis Joëlle Robillard, directrice générale et artistique de Musique Nomade
En quoi consiste concrètement ton travail au quotidien ?
Musique Nomade, un organisme à but non lucratif autochtone de création, un label également, qui porte deux poumons. C’est à la fois un organisme communautaire qui offre des services de studio en communauté, et une structure professionnelle dans l’industrie musicale dédiée exclusivement aux artistes autochtones. J’en fais la direction générale et la direction artistique, donc je développe autant la vision stratégique de l’organisation que la vision créative du label et des artistes qu’on accompagne.
À ton avis, quel est le rôle d’une maison de disques et sa pertinence en 2025?
Les maisons de disque sont définitivement pertinentes, si Musique Nomade n’avait pas créé son label, tellement de musiques merveilleuses dormiraient sur un disque dur. Et j’encourage d’autant plus les labels qui ont des modèles d’affaires alternatifs et qui sont favorisants pour les artistes (comme Musique Nomade mieh he he). Malgré qu’il soit possible de tout faire de façon indépendante pour un artiste débrouillard et engagé dans sa gestion, je crois que le succès d’un projet artistique tient d’un écosystème solide, la collaboration entre les professionnels et les créatifs. Il ne faut surtout pas tomber dans le piège de se mettre l’un contre l’autre : les producteurs vs les artistes. Car autant qu’à une époque de notre ‘’star système’’ des entreprises ont exagéré, autant qu’il y a de label et de travailleurs dévoués et passionnés en qui les artistes devraient avoir confiance. C’est tellement devenu complexe les sorties musicales avec les plateformes numériques… La sortie d’un seul single c’est des mois de travail stratégique. À chacun son expertise, je pense que pour que l’artiste puisse se concentrer sur ce qu’il fait de mieux, créer de la musique, il lui faut une équipe qui va se concentrer sur faire rayonner les fruits de son travail. Après, ça doit se faire de façon collaborative.
Quels sont les grands défis (actuels ou à l’horizon) qui se rattachent au métier?
Le milieu de la musique, et culturel, fait constamment face à des défis et doit apprendre à naviguer dans la tempête. Of course, les défis de financement : on ne ressort pas d’une montée globalisée de la droite conservatrice en chantant et gambadant. C’est dangereux pour notre financement, c’est dangereux pour notre diversité identitaire et culturelle. Dans tous les cas, je pense toujours que la solution c’est de travailler à en faire moins, mais le faire mieux. J’ai toujours trouvé le milieu dans un cycle vicieux de surcharge.
Le défi permanent des radios commerciales qui refusent d’être un acteur important dans le rayonnement de nos musiques. On a les études qui démontrent que le public veut écouter plus de nouveautés, plus de musiques locales, plus de musiques diversifiées, autochtones, francophones…arrêtez de nous faire croire que tout ce que les québécois.e.s veulent entendre c’est Nothing Else Matters et Despacito à longueur de journée. C’est un défi d’autant plus grand pour les musiques d’artistes autochtones, puisqu’elles ne rentrent pas dans les quotas. C’est un enjeu de racisme systémique clair pour moi.
Avec tout ce qui se passe en IA, c’est sur qu’un enjeu important c’est le droit d’auteur. Ça, c’est pour tous les artistes, pas juste autochtones. Par contre, le risque supplémentaire pour les Premières Nations, c’est de propager des informations incorrectes qui vont venir défaire des années de travail à essayer de protéger et de transmettre sans déformer les histoires, les cultures, les langues, les musiques. Ça, c’est dangereux.
Quelle est ta plus grande fierté ou ta plus grande réalisation des dernières années ?
Avoir été capable de mener un modèle entrepreneurial impactant, avec tous les aspects pragmatiques que ça demande, tout en favorisant l’art et l’humain au cœur de la pratique, en nourrissant un modèle d’affaires alternatif, bâti sur mesure pour répondre à des besoins spécifiques de milieu artistique autochtone, et ce, malgré la pression constante que j’ai eu pour faire les choses de la même façon que tout le monde.
Avoir activement participé à l’émergence d’une relève musicale autochtone, en étant une alliée aussi: bâtir un leadership et un lien de confiance avec une culture qui n’est pas la mienne et qui évoluait en marge de la culture populaire, c’est un gros défi. Avoir travaillé à faire rayonner davantage les voix autochtones, que ce soit les voix artistiques, les voix entrepreneuriales. Avoir poussé un modèle d’affaires économiquement pertinent, où communautaire ne rime pas avec précarité. Et particulièrement, continuer de faire rayonner les femmes leaders au sein de l’équipe Musique Nomade !
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un.e artiste qui envisage (ou espère) une collaboration avec une maison de disques ?
Trouve un label en qui tu as confiance, avec qui tu as du plaisir, avec lequel tu te sens écouté et respecté. Ne te laisse pas berner par le fame, écoute ton instinct, ce ne sont pas nécessairement les plus grosses équipes qui répondent le mieux à tes besoins – et ça se peut que ce soit le cas aussi. N’oublie pas de bien communiquer avec ton équipe, de leur démontrer ta reconnaissance, parce que ce milieu-là travaille fort en tabarouette pour les artistes. Rien ne sera jamais parfait, on travaille avec des humains, des égos, des personnalités…ça prend plusieurs personnes pour bâtir un équilibre là dedans, essaie donc de trouver une équipe qui te satisfasse toi, et évite de te comparer aux autres projets, c’est inutile, chaque chemin est différent.
BONUS : Quel conseil donnerais-tu à la Joëlle Robillard d’il y a 10 ans ?
Ha ha ! Respire ! Les choses qui doivent se passer se passent et les opportunités manquées laissent place à autre chose. Mets tes limites. Prends des vacances.