22 septembre 2025

L’œuvre de collaboration : comment savoir ? 

La semaine dernière, je vous parlais du fait qu’une œuvre de collaboration était indivisible — à l’image d’un œuf battu

Mais comment déterminer s’il s’agit d’une œuvre de collaboration ?

Ce texte est plus long/complexe qu’à l’habitude, je vous suggère de vous faire couler un café; je brise ma promesse de l’infolettre éclair, j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop !

Tout d’abord, il peut être utile de rappeler qu’une œuvre impliquant plusieurs auteurs n’est pas systématiquement qualifiée de collaboration. Pensons simplement à deux créateurs (une compositrice et un auteur), qui auraient chacun créé des œuvres de façon indépendante — un poème et une composition musicale [un beat] — mais qui auraient décidé de les juxtaposer dans un deuxième temps. 

À moins qu’ils n’en décident autrement, leur nouvelle œuvre serait constituée de 2 œuvres distinctes, et chacun pourrait conserver ses droits sur sa contribution. Bien sûr, cette nouvelle oeuvre aurait une vie à part entière; mais la compositrice pourrait aussi choisir de licencier sa composition musicale à un nouvel auteur.

Pour qu’il s’agisse d’une œuvre de collaboration, il doit bien sûr y avoir une certaine… 

collaboration.

La jurisprudence canadienne1 pose le test suivant pour établir si l’œuvre peut être désignée de collaboration (et donc devenir un tout indivisible2) :

  • il y a un apport significatif/substantiel de la part des créateurs ;
  • l’apport n’a pas forcément besoin d’être égal ;
  • il y a un travail conjoint vers un objectif commun.

Dans une affaire canadienne mettant en cause Sarah McLachlan (Voir Neudorf c. Nettwerk Productions Ltd, en bas de page), le juge avait par ailleurs ajouté à ce test le critère d’intention (les parties avaient-elles l’intention que chacune soit considérée à titre de co-auteure ou que l’œuvre devienne un tout indivisible ?

Ce critère — bien qu’intégré dans la loi et jurisprudence américaine — ne fait pas consensus au Canada, alors qu’il a même été critiqué plusieurs années plus tard par la Cour Fédérale du Canada dans une autre affaire [Voir Neugebauer c. Labieniec, en bas de page] 

Suivant le test, il faut donc analyser les faits dans leurs contextes.

Les contributions de chacun sont-elles originales et significatives ? 

Le sont-elles dans un cadre d’un travail conjoint vers un objectif commun 

En théorie, au Canada, tout apport significatif à une œuvre (incluant des paroles, mélodies, progressions d’accords particulières, etc.), effectué dans un contexte de collaboration (travail conjoint vers un objectif commun) pourrait être considéré comme une participation à titre d’auteur/compositeur3.

Qu’est-ce que significatif ? 

Dit simplement, dès lors qu’une auteure ou un compositeur peut démontrer que sa contribution à l’œuvre (1) est le produit de son talent et de son jugement et (2) a nécessité une certaine forme d’effort intellectuel, il pourra raisonnablement faire valoir un apport significatif ; et il appartiendra au juge d’analyser tous les faits devant lui. 

Cela étant dit, l’apport significatif n’inclut pas le simple fait de partager des idées ou de faire des suggestions… qui restent sur le spectre des idées !

Comme mentionné plus haut, le fait que toutes les parties aient eu ou non l’intention que chacune soit considérée à ce titre n’est pas absolument déterminant au Canada (du moins, pas comme aux États-Unis) — la question reste ouverte et il serait certainement intéressant que les tribunaux canadiens se penchent à nouveau sur cette question.

Bref, la co-création soulève de nombreux enjeux et plusieurs questionnements. 

Avec raison.

Très souvent, elle est évidente — les parties ont alors intérêt à établir les paramètres dans une entente (je vous invite à visiter mon Menu à la carte, pour y trouver un modèle d’entente de co-écriture).

Dans d’autres cas, elle nécessite une analyse approfondie, au cas par cas.

On en discute quand vous voulez !

b.

1 Neugebauer c. Labieniec [2009] FC 666 (CanLII) [elle même inspirée de la décision anglaise Levy c. Rutley (1871)//Neudorf c. Nettwerk Productions Ltd, [1999] BC SC 7014 (CanLII)//Drapeau c. Francois Girard, [2003] RJQ 2539 (le critère d’intention étant par ailleurs aussi soulevé dans cette décision)

2 À moins d’entente contraire, l’œuvre de collaboration est présumée créée à parts égales. Autrement dit, si les parties souhaitent convenir d’une répartition particulière, elles doivent le prévoir dans un écrit !

3 Bien sûr, il ne faut pas confondre la création de l’œuvre musicale et l’enregistrement/interprétation de cette œuvre en studio, sous la forme d’un enregistrement sonore

Autrement dit, l’œuvre existe indépendamment des diverses interprétations que pourront en faire les artistes interprètes ; ces derniers ne pourront systématiquement prétendre à des droits d’auteur sur l’œuvre en raison de leurs apports d’interprètes (par exemple, un solo de guitare).