Trois amis coécrivent un album, ensemble.
- L’un écrit principalement les paroles.
- Les deux autres composent la musique.
De façon générale, les œuvres sont créées en collaboration. Les maquettes avancent bien et l’album est prêt à être enregistré.
Mais un désaccord survient : un des amis n’approuve pas la direction artistique en studio.
👉 Il veut reprendre ses paroles : « J’ai écrit, c’est à moi. »
Œuvre de collaboration : pas si vite…
Lorsqu’elle remplit certains critères, une œuvre créée par plusieurs co-auteurs est indivisible.
La Loi sur le droit d’auteur prévoit qu’une œuvre créée en collaboration est une œuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres.
➡️ Autrement dit, l’auteur des paroles devient autant propriétaire de la musique que le compositeur des paroles. Les co-auteurs sont copropriétaires de l’œuvre musicale, ensemble.
L’image de l’œuf
Une analogie souvent utilisée :
- Le blanc = la musique
- Le jaune = les paroles
Une fois mélangés, il est impossible de séparer le jaune du blanc.
Collaboration ou juxtaposition ?
Attention : une œuvre impliquant plusieurs auteurs n’est pas forcément une œuvre de collaboration (c’est-à-dire une oeuvre indivisible).
Exemple : un auteur et une compositrice créent chacun une œuvre, indépendamment (p.ex., un poème + une composition musicale [un beat]) puis décident de les juxtaposer.
👉À moins qu’ils n’en décident autrement, leur nouvelle œuvre serait constituée de 2 œuvres distinctes, et chacun pourrait conserver ses droits sur sa contribution. Bien sûr, cette nouvelle oeuvre aurait une vie à part entière; mais la compositrice pourrait aussi choisir de licencier sa composition musicale à un nouvel auteur.
Pour qu’il y ait une oeuvre de collaboration, il doit y avoir une réelle…
collaboration.
Les critères de la jurisprudence canadienne
La jurisprudence canadienne1 pose trois critères pour établir si l’œuvre peut être désignée de collaboration (et donc devenir un tout indivisible2) :
- Un apport significatif/substantiel de chaque créateur.
- L’apport n’a pas besoin d’être égal.
- Un travail conjoint vers un objectif commun.
Le critère d’intention
Dans une affaire canadienne mettant en cause Sarah McLachlan (Voir Neudorf c. Nettwerk Productions Ltd, en bas de page), le juge a ajouté à ce test le critère de l’intention : les parties avaient-elles l’intention que chacune soit considérée à titre de co-auteure ou que l’œuvre devienne un tout indivisible ?
⚠️ Ce critère, bien que reconnu dans la loi et jurisprudence américaine, ne fait pas consensus au Canada. La Cour fédérale l’a même critiqué, quelques années plus tard (Voir Neugebauer c. Labieniec, en bas de page).
Comment analyser la co-écriture en pratique ?
Pour déterminer s’il y a co-écriture, il faut examiner :
- Les contributions sont-elles originales et significatives ?
- Ont-elles été faites dans le cadre d’un travail conjoint vers un objectif commun ?
En théorie, au Canada, tout apport substantiel (paroles, mélodies, progressions d’accords particulières, etc.) fait dans un contexte de collaboration pourrait être considéré comme une participation à titre d’auteur/compositeur3.
Qu’est-ce qu’un apport significatif ?
Dit simplement, dès lors qu’une auteure ou un compositeur peut démontrer que sa contribution à l’œuvre (1) est le produit de son talent et de son jugement et (2) a nécessité une certaine forme d’effort intellectuel, il pourra raisonnablement faire valoir un apport significatif ; et il appartiendra au juge d’analyser tous les faits devant lui.
👉 Attention : l’apport significatif n’inclut pas le simple fait de partager des idées ou de faire des suggestions qui restent sur le spectre des idées !
Comme mentionné plus haut, le fait que toutes les parties aient eu ou non l’intention que chacune soit considérée à ce titre n’est pas absolument déterminant au Canada (du moins, pas comme aux États-Unis) — la question reste ouverte et il serait certainement intéressant que les tribunaux canadiens se penchent à nouveau sur cette question.
Conclusion : encadrer la co-écriture
La co-écriture soulève de nombreux enjeux et plusieurs questionnements.
Avec raison.
- Dans certains cas, la collaboration est évidente et il est conseillé d’encadrer la relation par une entente écrite.
- Dans d’autres, une analyse au cas par cas est nécessaire.
👉 Pour sécuriser vos projets, je vous invite à consulter mon Menu à la carte, où vous trouverez un modèle d’entente de co-écriture adapté aux artistes et auteurs-compositeurs.
⚠️ Note importante : cet article n’est pas un avis juridique. Je vous invite fortement à consulter un professionnel pour évaluer votre situation; je reste disponible quand vous le souhaitez!
1 Neugebauer c. Labieniec [2009] FC 666 (CanLII) [elle même inspirée de la décision anglaise Levy c. Rutley (1871) ////// Neudorf c. Nettwerk Productions Ltd, [1999] BC SC 7014 (CanLII) ////// Drapeau c. Francois Girard, [2003] RJQ 2539 (le critère d’intention étant par ailleurs aussi soulevé dans cette décision)
2 À moins d’entente contraire, l’œuvre de collaboration est présumée créée à parts égales. Autrement dit, si les parties souhaitent convenir d’une répartition particulière, elles doivent le prévoir dans un écrit !
3 Bien sûr, il ne faut pas confondre la création de l’œuvre musicale et l’enregistrement/interprétation de cette œuvre en studio, sous la forme d’un enregistrement sonore.
Autrement dit, l’œuvre existe indépendamment des diverses interprétations que pourront en faire les artistes interprètes ; ces derniers ne pourront systématiquement prétendre à des droits d’auteur sur l’œuvre en raison de leurs apports d’interprètes (par exemple, un solo de guitare).